Pour écrire, certains auteurs vont se tapir dans le fond d’un café bondé, bercés par le brouhaha réconfortant du percolateur et des tasses qui s’entrechoquent. D’autres, profitant du silence de l’aube, rédigent au saut du lit dans une attitude quasi monacale. Quelques-uns ne travaillent bien que dans une chambre d’hôtel avec vue, et d’autres craignant la distraction vont officier sous d’obscures mansardes. Plus curieux encore certains procèdent à des rituels étranges, ne peuvent aligner trois mots sans leur stylo fétiche, ou leur pyjama orange …
Moi, je pars décanter mes idées dans des vapeurs de chlorophylle, car j’ai recours aux forêts. Si mes mots se rebiffent, mes chapitres s’emmêlent, ou mes personnages ne trouvent pas de solution à leurs interrogations, j’éteins mon ordinateur et je pars dans les sous-bois en quête d’humus.
Marcher en suivant le chemin et faire le vide dans mes pensées. Respirer les odeurs mêlées de terre et de feuilles en décompositions. Ressentir la lumière tamisée qui filtre entre les ramures. Écouter les bruissements, les bourdonnements, les murmures des branches qui se caressent en altitude agitées par le vent, le chuchotement des feuilles frémissantes, ou le chant délicieux d’un coucou. S’oublier, se fondre en profondeur dans le décor comme du mycélium, redevenir animal à l’affût.
Au bout d’un certain temps, les idées viennent. Au début, discrètes comme des biches, elles s’invitent sur la pointe des pieds et entrebâillent tout juste la porte de ma conscience. Puis une fois qu’elles se sentent bienvenues, accueillies, elles arrivent en nombre, se multiplient dans un brouhaha joyeux.
Ma tête peine à tout noter. Je rebrousse chemin, en marchant vite de peur d’oublier. Un spectateur dirait que je suis pressée, que j’ai un train à prendre. Ce n’est pas tout à fait ça. J’ai, accrochés à mes pattes des pelotes de pollen tout frais, il faut vite que je remise mon butin dans le rucher avant qu’il ne s’évente…