« Un bruit de balançoire » m’a cueillie un après-midi dans l’allée d’un grand libraire de Vannes. Il ne s’agissait pas d’un son, mais bien d’un livre. Un petit ouvrage simple, qui s’excusait presque d’être là, dans son aube blanche d’une clarté de lys, posé au milieu de ses congénères colorés ostentatoires.
Ce titre « Un bruit de balançoire » a fait remonter de ma mémoire un feu d’artifice de sensations, de souvenirs et d’odeurs précieuses d’herbes fraichement coupées. Je n’étais plus dans cette librairie, j’étais dans un autre temps, un autre lieu, dans le jardin d’Alice, dans les plaines du marquis de Carabas ; j’avais trébuché dans mon âme d’enfant.
Ce livre m’appelait c’était évident, il fallait que j’aille écouter de plus près ce qu’il avait à me dire. Je me suis approchée, impressionnée par la sobriété de ce petit ouvrage, pressentant à cet instant que ce livre ténu aurait pour moi la densité d’un trou noir.
Je ne connaissais pas l’auteur Christian Bobin, la vie ne me l’avait pas présenté. Elle s’en chargeait, là, à ce moment de mon existence, ni trop tôt ni trop tard sûrement, dans cette librairie gorgée de monde. Dans cette librairie gorgée de monde, où il n’y avait plus que moi, frêle tournesol attiré par son nouvel astre, ce livre auréolé de mots chargés de rosée.
Jamais je ne m’étais sentie plus proche de ce qui était écrit. Les mots faisaient mouche à chaque ligne. Par miracle, j’avais échoué sur une île où l’on parlait ma langue natale. Je venais d’ici sûrement.
J’ai refermé le livre, bouleversée. C’est comme si Bobin m’avait dit : « tu peux la parler maintenant cette langue, n’aies plus peur. »
Je suis sortie avec le livre de la librairie, ou plutôt monsieur Bobin est sorti avec moi. Il m’accompagne désormais. Comme un ami indulgent avec bienveillance il se penche sur mes mots qui balbutient encore, mais qui grâce à lui m’octroient le droit d’avancer dans la vie, poétiquement, en éternelle émerveillée.